[ Interview ] Démythification de la transformation digitale avec Yasser Monkachi, CEO et Fondateur de Social Impulse
Yasser Monkachi est consultant-formateur en Marketing Digital. Il est par ailleurs reconnu pour être un speaker et un facilitateur au sein de la scène digitale marocaine de par le Social Media Club qu’il co-fonde en 2011, le ftour 2.0 qu’il lance cette même année ou encore le site de eCommerce vainqueur des Maroc Web Awards sardi.ma. Yasser est aussi intervenant en Community Management et eCommerce auprès de Toulouse Business School (TBS Casablanca). Il a également collaboré avec des groupes et des multinationales de renom (Google, Dell, Shell, ExxonMobil, SQLI Group, PNUD et récemment Viber). Fort d’une expérience de 20 ans en Management de projets multiculturels, il est aujourd’hui le fondateur et CEO de l’agence digitale Social Impulse, spécialisée en Research, Brand Content, New Media et Inbound Marketing. Nous avons profité de cette rentrée pour faire le point avec lui et l’interroger sur la transformation digitale, la tendance à la mode en ce moment.
Le digital refaçonne les relations humaines et le rapport avec les médias. Une évolution effrénée, voire une révolution, avec laquelle l’entreprise doit tenir compte et en suivre le rythme pour ne pas subir le contrecoup et les conséquences d’un trop grand décalage. Comment une marque doit-elle aborder cet écosystème dit « digital » ou numérique pour garantir sa compétitivité ?
Le digital peut être considéré aujourd’hui comme une évolution sociétale de grande envergure dans le sens où, justement, il est en train de changer littéralement nos rapports à l’information, à la data, au temps, aux autres et à nous même ! Ceci étant dit, l’entreprise n’est pas à l’abri d’une telle (r)évolution. Pour faire face à de telles mutations, les marques n’ont de choix aujourd’hui que de se mettre en veille stratégique afin de suivre les tendances et se mettre à la page, surveiller leur réputation sur le net et, pourquoi pas, devenir acteur du digital. La tentation est grandissante mais les défis et les chantiers font florès car ce monde fabuleux qu’est le digital n’est pas un eldorado pour marques désireuses d’accroître leur capital sympathie et de se positionner au top of mind de leurs cibles et de leurs communautés.
A défaut d’une maturité stratégique et d’un leadership éclairé et éclairant, d’un management de transition où le technologique est remis au second rang par rapport à la problématique humaine et la gestion des talents, le digital ne peut être mis au profit des marques si ce n’est dans une démarche anecdotique, voire opportuniste. Pour garantir leur compétitivité sur la nouvelle scène médiatique, les marques sont aujourd’hui à l’affût d’intelligence situationnelle, autrement dit en temps réel, où les règles inhérentes à la créativité et à l’innovation sont revues profondément. Les exemples, tant de réussites que d’échecs, fusent sur la toile ce qui donne des possibilités de Benchmark extraordinaires, du jamais vu par un passé réputé opaque.
L’ouverture des marchés a impliqué non seulement une levée des barrières économiques mais aussi culturelles et le melting pot multi-culturaliste est en marche. Ceci place les marques marocaines, marque Maroc en tête, dans une concurrence internationale aux standards et aux règles strictes. Pour être compétitive, une marque se doit aujourd’hui de respecter toutes les règles d’ordre éthique et esthétique nécessaires à son rayonnement mais aussi sa crédibilité et de manière durable.
La mutation digitale d’une marque implique-t-elle une transformation radicale de son ADN ? Quels sont les enjeux d’avenir de la marque digitale ?
Notre premier constat sur la digitalisation des marques à l’international implique aussi que toute organisation est amenée aujourd’hui à se digitaliser de l’intérieur (Inside-out) car, comme je le dis souvent, la communication n’est que le reflet d’une organisation. Un reflet qui se doit d’être fidèle aux valeurs de l’entreprise, et les valeurs ne sont pas que des slogans ! Confrontés à la réalité du terrain, car comme vous le savez je suis plus un praticien qu’un académicien, je me tâte souvent à des résistances et des réticences que je trouve légitimes et tout à fait naturelles de part et d’autre. De nos jours, il ne suffit plus de changer de packaging, de logo ou de promesse (signature) pour construire une marque forte et durable.
Il ne suffit pas non plus de recourir aux mass media ou encore faire appel à la star du moment, pour matraquer à grande échelle une population éparse et méconnue à travers des approches poussives et intrusives. Même le storytelling le plus abouti reste éphémère et insuffisant pour faire face aux exigences du moment ! Le monde change, la communication aussi ! D’où la nécessité de revoir en profondeur l’ADN de la marque. Qu’elle soit historique où nouvellement créée, la marque est amenée aujourd’hui à faire preuve d’intelligence digitale. Dans ce concept, on retrouve d’une part beaucoup d’écoute, d’interaction et d’humilité ; d’autres part une maîtrise d’outils digitaux à mettre au service de la marque en matière de veille, de monitoring et de reporting, sans oublier un grand effort de bienveillance, de sensibilisation et d’accompagnement du changement.
Les générations Y et Z, contemporaines de cette révolution technologique, sont celles qui s’approprient le mieux les nouvelles habitudes de « consom’action ». Quels enjeux représentent-elles pour les marques ? Et comment font-elles pour s’adapter à cette nouvelle génération ?
Nous venons de survoler la notion d’ADN dans un contexte où les marques souveraines, autrefois florissantes, n’existent presque plus. En effet, l’avènement des réseaux sociaux couplés à la montée en puissance des générations Y et Z, hyper-connectées mais aussi exigeantes et prenant part à la conversation sur les réseaux sociaux et les nouveaux médias en arborant le statut de prosommateur ou consomm’acteur, voire celui d’avocat de marque, a changé la donne. Les marques n’ont de choix aujourd’hui que de prendre part à ce nouveau challenge en faisant du Community Management leur cheval de bataille afin de faire des communautés émergentes sur le web social leurs alliés et des leaders et influenceurs leurs fervents défenseurs.
Des marques en veille sur les tendances en Design et les innovations en matière de lifestyle, le web social étant aujourd’hui un laboratoire vivant d’expérimentation quantitative et qualitative pour les marques désireuses d’augmenter leur attractivité mais aussi leur capital en matière de notoriété et de sympathie auprès des générations montantes. Le défi est de taille mais les outils et les connaissances, tant stratégiques qu’opérationnelles, disponibles aujourd’hui permettent d’atteindre des niveaux d’efficience honorables afin de construire une relation durable avec le client.
Le digital et les interactions qu’il implique annoncent la fin des marques souveraines. Le consommateur est devenu en quelque sorte le co-propriétaire de la marque. D’autre part, le web et les réseaux sociaux marocains sont généralement, sans vouloir généraliser, très médiocres en termes de création de contenus. Vous avez d’ailleurs à plusieurs reprises pointé du doigt ces défaillances (bouzebalisme 2.0, haters vs makers). Comment dans ces conditions faire émerger de la co-création de qualité en réconciliant le fond, la forme et les interactions ?
Le contenu est le fuel des marques. Qu’il soit du Brand Content* ou du branded content, tactique ou stratégique, on ne peut imaginer aujourd’hui une marque opérer sur la scène néo-médiatique sans stratégie de contenu. Si les expériences d’ordre anecdotique ont fait rage durant les débuts du web social à travers des contenus improvisés, sporadiques ou opportunistes, ceci a permis de théoriser les fondements stratégiques d’une approche qui a de tout temps existé mais qui a connu son boom avec l’arrivée de la toile participative dite aussi Web 2.0. La nature ayant horreur du vide, et en l’absence de contenus produits par les marques dans le cadre de chartes d’éthique et de lignes éditoriales bien définies, des sites, des blogs, des podcasts et des supports divers émergent sur la toile.
Vous faites bien de rappeler le bouzebalisme et les Haters, bien propre à la Webosphère marocaine. Je pense aussi au fhamatorisme, qui a dominé la Blogoma et la Twittoma durant les années 2000 (et continue par je ne sais quelle main mise à faire des dégâts) car c’était une décade de l’immaturité par excellence où tout le monde se cherchait, abasourdis que nous étions par l’avènement du numérique et du Web social. Je pense aussi au phénomène des trolls qui constitue un véritable frein à l’émergence de l’intelligence collective et l’essor de la co création. Le village planétaire de McMullan, la noosphère de Theillard De Chardin et les intelligences interconnectées de Pierre Levy, seraient-ils gâchés par des armées de trolleurs et de hackers malveillants ? Pas si sûr car dans ce foisonnement incommensurable il y a fort heureusement de la place pour tout le monde ! Une co-creation produisant des contenus de “qualité” reste viable grâce aux plates-formes collaboratives et aux possibilités que nous offre le cloud aujourd’hui.
Beaucoup de professionnels continuent d’assimiler le brand content et le content marketing. Pouvez-vous nous éclairer sur ces deux concepts ? Quelle(s) différenciation(s) faites-vous entre les deux ?
Le Content Marketing n’est pas littéralement le Brand Content mais ce dernier peut faire partie du premier ! Dans une stratégie de contenu, la marque peut aujourd’hui user de différents contenus de type branded content, Brand Content, publicités,… tout ce qui est formalisé et produit a tendance à être considéré comme du contenu. On parle même d’industrie de contenu tellement le besoin est grandissant mais attention, et vous faîtes bien de poser la question, plusieurs équivoques sont toujours de mise et il faudrait jeter la lumière sur quelques notions de base que l’on a tendance à ne pas voir, tellement l’évolution est vertigineuse, le contenu n’étant pas une science exacte.
Si le Content Marketing est perçu aujourd’hui comme une industrie, le Brand Content peut-être interprété comme un art. En produisant du Brand Content, la marque donne du sens à ses produits et service, à sa mission et à son ambition en usant de supports créatifs, généralement hors des sentiers battus relatifs à la promotion et au hard sell. Elle devient non seulement un producteur de produits et de solutions mais de valeur (ajoutée). En diffusant du contenu, en relation ou pas avec son activité, informatif ou récréatif, la marque se transforme en média. C’est subtile mais c’est comme ça ! En fervent défenseur de Brand Content, je ne peux ne pas être aussi du côté des industriels de contenu, surtout quand c’est d’inbound Marketing qu’il s’agit !
On parle beaucoup de transformation digitale des entreprises et des organisations. En quoi cela consiste-t-il exactement et que se cache derrière ce concept ? Les organisations marocaines en sont-elles conscientes ? Et disposent-elles du « mindset » suffisant pour muter ?
Il est connu de tous aujourd’hui que la transformation digitale n’est pas qu’un buzz-word, c’est une lame de fond d’une importance stratégique pour les entreprises qui se doivent de la mener en toute agilité et y accorder les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre et sa réussite. La transformation digitale est une question de prise de conscience, de moyens mais aussi de mindset. Cette transformation commence par la gouvernance, le leadership et les mesures prises en amont de l’organisation afin de favoriser l’adoption des technologies mais aussi, et surtout, le recrutement de talents adéquats et d’expertises nécessaires. Le chantier digital commence par une sensibilisation graduelle, celle des dirigeants, des top managers, des middle managers et jusqu’à atteindre l’ensemble des salariés et des partenaires d’une organisation.
La relation client est la suite logique et le prolongement de la digitalisation des processus métier. Nous en avons parlé à l’échelle de la marque lors de notre dernier séminaire sur la marque digitale et nous en reparlerons sur un périmètre organisationnel et communicationnel lors de notre conférence** débat sur les perspectives d’une telle transformation pour les entreprises marocaines. La problématique étant aussi riche que vaste, nous ambitionnons de la cadrer au maximum afin d’apporter une réelle valeur ajoutée à l’écosystème et au marché marocain et en faire un levier de changement et d’évolution.
Face aux nouvelles pratiques de communication et de marketing imposées par le digital, on peut affirmer que le métier de marketeur se transforme. Selon vous quelle place va prendre notamment la technologie dans ce métier ? Et quels profils et compétences devront avoir le marketeur et le communicant de demain ?
Absolument, le métier de Marketeur et celui de communicateur sont en train de changer en profondeur avec l’avènement du paradigme digital. Songez à toutes les mutations en cours d’ordre géopolitique, économique, politique, technologique… et le topo est vite fait par rapport à la fiche de poste du nouveau Marketeur. Appelé aussi CMO (Chief Marketing Officer) du côté startup, dans l’économie numérique mais aussi au sein d’organisations innovantes, le patron du Marketing est le garant de l’aspect business de A à Z d’une organisation. On assiste aussi en parallèle à l’émergence d’un nouveau métier dédié au management du digital, voire de la transformation digitale : le CDO (Chief Digital Officer).
A mi chemin entre le DSI et le Marketeur, Ce dernier est le boss de la digitalisation des process, des infrastructures et de la communication de l’entreprise. Avec le cloud computing, l’évolution fulgurante des offres, leur maturité et toutes les possibilités s’y rattachant, ces métiers seront plutôt orientés méthodologie que technologie. Dans un contexte extrêmement difficile, la nécessité de développer de nouvelles compétences nécessaires au renouvellement continu des marques et des organisations telles que l’agilité, le Lean management, la gestion de projets multiculturels, le Design Thinking… s’avère essentielle ! Mais au-delà de ces compétences ce sont les qualités humaines qui font la différence. Je pense aussi aux 3P (Passion, Patience et Persévérance) mais aussi à l’écoute et à l’empathie.
* C’est le propos de la Masterclass Brand Content Stratégique avec Daniel Bô qui aura lieu à Casablanca le 03 décembre 2016 (plus d’infos).
** Conférence-Débat Transformation digitale : « Quelles perspectives pour les entreprises marocaines ? » (plus d’infos).