Depuis quelques semaines, la toile a pris un sacré coup de vieux : des visages d’octogénaires, célèbres ou inconnus, défilent sur les réseaux sociaux. Ceci grâce à une appli de retouche d’image made in Russia, #FaceApp qui, entre autres filtres permettant d’agrémenter vos selfies de barbes, de moustaches, ou de maquillage, vous permet surtout de voir à quoi vous ressemblerez à la fin de votre vie. C’est fun, c’est épatant, c’est innovant, mais aussi légèrement creepy. Je vous explique pourquoi.
Plusieurs fois par an, Internet donne naissance à ce genre d’histoires ô combien familières. Une application est lancée, que ses fonctionnalités révolutionnaires ont tôt fait de rendre virale. Les utilisateurs la téléchargent et l’installent, convaincus (ou n’accordant que peu d’importance à ce point) que l’application est sécurisée et vérifiée. Les célébrités guident la marche, générant ainsi des millions de mentions et de téléchargements.
De l’été 2019, alors qu’on vient à peine de tourner la page sur le #bottlecapchallenge, et que le #10yearschallenge ne fait plus parler de lui depuis longtemps, on retiendra le phénomène FaceApp, qui existe pourtant depuis avril 2017, mais dont la dernière mise à jour a suscité le buzz.
FaceApp : Comment ça marche ?
FaceApp est une application de retouche d’images développée en Russie par Wireless Lab. L’appli a créé le buzz sur les réseaux sociaux grâce à ses fonctionnalités basées sur l’intelligence artificielle. Pour quel résultat ? L’appli propose aux utilisateurs fans de selfies de voir à quoi ils pourraient ressembler plus beaux, plus souriants, avec une couleur de peau, de cheveux ou un sexe différent, mais surtout de se voir plus jeune, ou 30 ans plus vieux, en un seul clic. Un algorithme transforme votre selfie et l’ajuste en fonction d’une banque de millions d’autres images, ce qui permet un résultat au plus près du naturel : ainsi, le filtre de vieillissement ajuste la morphologie vieillie de la bouche, des yeux, du menton, des joues et du cou, et joue sur la coloration de la peau pour des transformations véritablement impressionnantes.
Les transformations liées au changement de genre ont suscité un intérêt tout particulier au sein des communautés LGBT et transgenres, en raison de la capacité très poussée de l’application à simuler de manière réaliste l’apparence d’une personne en tant que sexe opposé.
Vous pouvez télécharger gratuitement l’appli FaceApp (l’appli a dépassé le cap des 100 millions de téléchargements) et utiliser tout aussi gratuitement le filtre de vieillesse pendant 3 jours après inscription. Vous devrez ensuite passer à la version payante pour continuer à utiliser le service et déverrouiller toutes les options de modification, à partir de 3,99$.
Quand les stars donnent le la…
Qu’on en commun Drake, David Guetta, Brad Pitt, Leonardo di Caprio, Adele ou encore les Jonas Brothers ? Ces célébrités ont été les premières à tester l’appli et à partager leurs transformations sur leurs réseaux sociaux, générant ainsi des millions de mentions.
Faut-il se méfier de FaceApp ?
Depuis que l’outil de transformation de selfies est devenu viral, des voix ont commencé à s’élever pour exprimer des inquiétudes concernant les termes et conditions d’utilisation de FaceApp, notamment relatives au respect de la vie privée et de la confidentialité des données.
Aux Etats-Unis, Chuck Schumer, sénateur démocrate, a appelé la Federal Trade Commission et le FBI à enquêter sur FaceApp, craignant que l’appli ne présente « des risques pour la sécurité nationale et la vie privée de millions de citoyens américains ». Le sénateur a demandé aux deux agences d’évaluer la situation et de déterminer si « les données personnelles téléchargées par des millions d’Américains sur FaceApp pourraient bien se retrouver entre les mains du gouvernement russe ». Une enquête du FBI serait en cours.
Car utiliser FaceApp revient à accepter implicitement un droit perpétuel, irrévocable, et sans compensation, à que ses photos soient reproduites, modifiées, adaptées, publiées. Si un jour la société se fait racheter (c’est fort probable), vos photos atterriront donc par voie de conséquence entre les mains d’un groupe qui pourra en disposer à sa guise.
Afin de rassurer ses utilisateurs, FaceApp a déclaré dans un communiqué que la plupart des images uploadées étaient supprimées de ses serveurs cloud dans les 48 heures suivants leur téléchargement. La société a également précisé qu’elle ne téléchargeait que les photos transformées par les utilisateurs, et non l’intégralité de la bibliothèque d’images des smartphones.
Pourtant, beaucoup supposent encore que FaceApp pourrait utiliser les données recueillies à partir de photos d’utilisateurs pour développer des algorithmes de reconnaissance faciale ou même dans la création de vidéos de type deepfake, et ceci peut être réalisé même après que les photos elles-mêmes ont été supprimées.
C’est aussi oublier que, malgré toutes les dénégations de FaceApp, l’appli récolte les informations de géolocalisation et de navigation (adresse IP, navigateur, adresses des pages visitées, clics…) pour être en mesure de vous diffuser des publicités personnalisées.
En conclusion, beaucoup d’intimité perdue pour un seul cliché qui épate la galerie…
Le point positif dans l’histoire…
Mais s’il y a bien un point positif dans tout le buzz généré autour du phénomène FaceApp, c’est qu’encore une fois, cela nous montre à quel point nos informations personnelles sont vulnérables en ligne.
Cela ne suscitera peut-être pas assez de crainte pour changer notre comportement à grande échelle (et preuve en est que rien n’a encore entravé le succès des téléchargements de l’appli FaceApp sur les stores) mais cela nous fait encore une fois prendre conscience des menaces qui peuvent peser sur nos données et notre vie privée.