Transformer l’Afrique
Dans un livre-reportage intitulé «Startup Lions», l’entrepreneur et tech reporter Samir Abdelkrim brosse le récit de 3 années d’enquête et de voyages en immersion au cœur des écosystèmes tech et des nouveaux acteurs de l’innovation en Afrique. Il explique pourquoi et comment les startups africaines résolvent les problèmes des populations et posent les bases d’une société nouvelle, dont l’Occident devrait s’inspirer. Nous publions ci-dessous les bonnes feuilles (3ème partie).
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Partie 2 : Transformer l’Afrique
Chapitre 1 : Réinventer l’agriculture
(…) À Goubé, la canicule semble éternelle. Nous sommes à une quarantaine de kilomètres de Niamey, la capitale du Niger. Quand l’harmattan souffle sur le désert du nord-est au sud-ouest, la température peut monter à 45 °C. Ce qui arrive à pousser dans le sol aride de Goubé et de ses alentours dépend des caprices de la météo, et notamment de la pluie. Les femmes se relaient toute la journée autour de l’unique puits du village, transportant la précieuse ressource dans des seaux de mauvaise qualité. Dans cet écosystème agropastoral fragilisé, chaque goutte d’eau compte. Une eau mal conservée ou répartie inégalement, et c’est l’activité biologique minimale des terres agricoles qui est remise en question avec l’arrivée de la saison sèche. Au Sahel, l’agriculture est primordiale. Le travail de la terre et l’élevage pastoral font vivre 90 % de la population sahélienne : nomades, éleveurs transhumants, petits cultivateurs… Il suffit d’une saison des pluies trop courte pour mettre en danger la sécurité alimentaire de milliers de hameaux. Lorsque les eaux de pluie tombent sur les plateaux et ruissellent sur les bas glacis sans pénétrer assez les terres arides et craquelées, c’est toute la productivité annuelle des plantations de mil, de fonio ou de maïs qui est mise en péril. Lorsque la terre assoiffée du Sahel nigérien s’appauvrit au fil des années en éléments nutritifs, ce ne sont plus simplement les villages qui souffrent de la disette, mais bien tout un pays qui se retrouve au bord de l’explosion sociale avec des millions de bouches qui ne mangent pas à leur faim.Un tel drame est un cruel paradoxe, car les plus importantes ressources en eau potable de la planète se situent pour une bonne partie dans le sous-sol africain. 40 % des Africains n’ont toujours pas accès à l’eau potable, malgré près de 660.000 kilomètres cubes d’eau douce enfouie sous leurs pieds… Quand la disette s’installe dans les zones rurales, des villages entiers meurent à petit feu. Désabusés, les plus âgés assistent impuissants à l’exode des plus jeunes vers les grandes villes, où ils seront confrontés à l’absence de perspectives et d’emplois. Les plus déterminés prendront le chemin de l’implacable désert du Sahara qu’ils remonteront jusqu’aux côtes libyennes. De là, ils risqueront leurs maigres économies pour tenter de rejoindre, souvent en vain, la rive européenne de la Méditerranée, mettant leur vie entre les mains de passeurs sans scrupules.
Le changement climatique est une autre menace. Les études les plus récentes démontrent en effet qu’à cause du réchauffement climatique, la température du Sahel aura augmenté de 3 à 5 degrés d’ici 2050. Le Sahel va connaître dans les décennies qui viennent une multiplication des épisodes de sécheresse, un appauvrissement continu des sols et une réduction du volume des récoltes. Les experts estiment qu’en l’absence d’innovation majeure, la production agricole de pays voisins du Niger, comme le Burkina Faso, reculerait de 13 %. (…)
Des oasis connectées en plein Sahel
Abdou Maman Kane ne renonce pas. Cet entrepreneur nigérien veut métamorphoser les terres arides de son pays en « vergers luxuriants », grâce au téléphone portable, omniprésent jusque dans les zones rurales. J’en discute avec lui lors d’un forum sur l’innovation à Niamey. Connaissant bien les difficultés rencontrées par les agriculteurs et éleveurs des zones rurales, Abdou a développé puis breveté une solution innovante, baptisée Télé-irrigation, que commercialise sa startup Tech-In- nov. « L’agriculture africaine est longtemps restée rudimentaire, me dit-il, avec des outils de production et des méthodes archaïques. Nous apportons un système d’irrigation intelligent et pilotable à distance avec son téléphone. » Pour les aider à atteindre la nappe phréatique, Tech-Innov fournit aux agriculteurs et éleveurs nigériens une pompe alimentée à l’énergie solaire et actionnable via une application mobile. Abdou estime qu’il s’agit d’une « alternative vertueuse aux pompes à fioul manuelles et polluantes qui sont traditionnellement utilisées pour puiser l’eau du sous-sol ». Non automatisées, les pompes à fioul nécessitent des interventions humaines risquées, car il faut souvent descendre à plusieurs dizaines de mètres sous le sol, à l’aide d’une simple corde, pour actionner ou interrompre le fonctionnement de la pompe.
Relié à la pompe, l’ingénieux procédé d’irrigation imaginé par Tech-Innov alimente les plantes au goutte-à-goutte. « Notre innovation principale repose sur la manière dont nous utilisons le Big Data pour optimiser la conservation et l’exploitation des plantations par les petits agriculteurs. » Le dispositif d’irrigation est connecté en permanence à une batterie de récepteurs intelligents, soigneusement disposés à l’intérieur et autour des plantations. Installés à même le sol au milieu des cultures, ces différents capteurs sensoriels vont récolter en temps réel la température du sol, le niveau de pluviométrie, le taux d’humidité, ainsi que le niveau de radiation solaire. Un anémomètre planté au-dessus des champs de mil permet de calculer la pression du vent en mouvement, notamment en période de saison sèche, où les températures sont les plus dévastatrices pour les plantes.
« En période d’harmattan, le débit du dispositif de goutte-à-goutte sera par exemple accéléré afin d’éviter que les gouttes, suivant un rythme trop espacé, ne s’évaporent avant même de toucher le sol. » Recueillies puis analysées par le logiciel Tech-Innov, ces informations sont ensuite communiquées aux exploitants par SMS. Elles leur serviront à calculer le débit du système de micro-irrigation, ainsi que le temps d’irrigation nécessaire à chacune des parcelles. Si l’agriculteur ne sait pas lire, il peut toujours écouter des messages vocaux préenregistrés pour obtenir la bonne information, ce qui permet de contourner le problème de l’analphabétisme, encore très présent dans les campagnes sahéliennes. (…)”.