Vivre au présent, tourné vers le futur
Dans un livre-reportage intitulé «Startup Lions», l’entrepreneur et tech reporter Samir Abdelkrim brosse le récit de 3 années d’enquête et de voyages en immersion au cœur des écosystèmes tech et des nouveaux acteurs de l’innovation en Afrique. Il explique pourquoi et comment les startups africaines résolvent les problèmes des populations et posent les bases d’une société nouvelle, dont l’Occident devrait s’inspirer. Nous publions ci-dessous les bonnes feuilles (4ème partie).
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Partie 4 : Vivre au présent, tourné vers le futur
Chapitre 1 : L’avenir de l’Europe se joue au Sahel
Face au pont Kennedy, mon smartphone est formel, il fait bien 41 °C.
Cette température est normale à Niamey, capitale du Niger, pays majoritairement désertique. Construit dans les années 1970, le pont Kennedy permet de traverser le fleuve Niger pour se rendre dans le centre-ville de Niamey. S’y côtoient une multitude de mobylettes chinoises et un troupeau de vaches, qui ne manque pas de ralentir toute la circulation. Guidées par un petit groupe d’adolescents, les bêtes progressent à leur rythme vers les rives du fleuve, où elles broutent quotidiennement. Parmi les motocyclistes, il n’y a quasiment que des jeunes.
Cette scène de vie illustre à mon sens les enjeux multiples qui caractérisent le Sahel. La zone du Sahel est un long ruban de 5.500 km de long et de 400 à 600 km de large, qui traverse toute l’Afrique, de la côte atlantique de la Mauritanie à la mer Rouge, faisant la jonction entre le Sahara et l’Afrique tropicale humide. Zone géopolitique cruciale, le Sahel demeure toutefois une inconnue pour l’opinion publique internationale. C’est dans cette zone que se concentrent les principaux défis politiques, économiques, sociétaux et environnementaux que doit relever l’Afrique pour assurer sa stabilité, et dans une moindre mesure, celle du monde. C’est la raison pour laquelle les pays sahéliens ont besoin, rapidement, d’innovations qui leur permettent d’agir sur leur futur.
C’est ce qu’explique Almoktar Allahoury, fondateur du CIPMEN, l’incubateur numérique du Niger créé fin 2013, et de SahelInnov, le sommet annuel de l’innovation au Sahel : « L’entrepreneuriat permet de savoir rapidement si une solution fonctionne ou pas et cela fait gagner du temps. Or le temps presse au Sahel. » Pour cet homme calme et déterminé, les entrepreneurs sont les transformateurs de la société. Ils doivent être nombreux, et ce n’est d’ailleurs qu’à cette échelle qu’ils pourront inventer des solutions capables d’apaiser les tensions qui tiraillent cette zone complexe et morcelée. Les enjeux sont ici très prosaïques : il faut nourrir, soigner et éduquer une population en pleine transition démographique. Ces défis sont ceux de l’Afrique, mais aussi ceux de l’Europe, car s’ils ne sont pas résolus, ils rejailliront sur un monde occidental encore naïf quant à la situation de grande précarité de ces populations.
Le premier défi est humain. De Niamey au Niger à N’Djamena au Tchad, de Juba au Sud-Soudan à Bamako au Mali, les taux de fécondité figurent aujourd’hui parmi les plus élevés au monde, avec une moyenne de 8 enfants par femme. En pleine transition démographique, la population du Sahel frôlera les 400 millions d’ici 2050 selon les fourchettes basses établies par les institutions internationales. Cette croissance démographique se produit dans des sociétés encore défavorisées, rurales, mal ou peu soignées, insuffisamment éduquées et sujettes à de trop fréquentes périodes de tension alimentaire. Cette précarité, qu’aggrave encore un déficit d’emplois pour la jeunesse, explique en partie les importants flux migratoires vers l’Europe. Le paradoxe de cette situation est que ce sont souvent les forces vives, qui pourraient être à l’origine du changement, qui fuient au péril de leur vie à travers le désert et la Méditerranée.
Le deuxième défi du Sahel est écologique. Situé entre le désert et les zones tropicales humides, le Sahel est une aire climatique complexe, soumise à de grandes fluctuations météorologiques. La déforestation et le changement climatique n’arrangent rien et risquent de faire monter la température de 8 °C au Sahel d’ici 2100 ! En l’absence de révolution agricole, les experts estiment que la production agricole d’un pays comme le Soudan, qui compte près de 35 millions d’habitants, s’écroulera de moitié dans les 30 prochaines années.
Le dernier enjeu à relever est sécuritaire. Il ne faut pas oublier la présence toujours vivace de groupes djihadistes en Mauritanie, au Mali, en Algérie… et dans le désert nigérian. Bien que ces groupes se limitent au plus à quelques milliers de combattants, ils peuvent avoir un fort pouvoir de déstabilisation dans des pays où les structures étatiques ne remplissent pas toutes leurs missions. L’équilibre du Sahel reste fragile et une grande vigilance s’impose pour contrer le terrorisme.
La dynamisation des territoires est un levier puissant pour éviter que ces extrémismes ne profitent de l’absence de perspectives des populations d’Afrique subsaharienne.
Pour Almoktar Allahoury, l’entrepreneuriat est un rempart contre ces menaces.
En inventant des solutions innovantes, voire futuristes, les entrepreneurs ont la capacité de répondre aux besoins parfois pressants des habitants du Sahel. Il mentionne ainsi (…)
Chapitre 5 : Une nouvelle guerre des étoiles au-dessus de l’Afrique
(…) Je reviens dès le lendemain au iHub pour retrouver Erik Hersman. Nous nous asseyons dans le bureau où il a accueilli le fondateur de Facebook, moins de 24 heures plus tôt. L’entrepreneur en est convaincu : malgré cet échec cuisant, rien ou presque ne parviendra à distraire Mark Zuckerberg de ses rêves d’expansion en Afrique. « Je suis sûr qu’il redoublera d’efforts pour atteindre son objectif », me glisse le colosse à la barbe rousse.
L’explosion du satellite sur son pas de tir de Cap Canaveral n’est pour lui qu’un contretemps technique. D’ici quelques mois, les essais reprendront.
À une différence près : Mark Zuckerberg ne sera plus le seul sur la ligne de départ, les yeux rivés sur le continent.
« Aujourd’hui, les immenses sociétés technologiques que sont devenues Facebook ou Google considèrent l’Afrique comme le dernier grand espace à connecter. Ils pensent que pour le conquérir, il faut connecter tous les Africains à Internet. Pour cela, ils déploient des projets futuristes dans le ciel et dans l’espace comme Facebook avec son satellite AMOS-6 », m’explique Erik Hersman. Avec des budgets de R&D quasi illimités, les GAFA sont assez puissants pour travailler sur de nombreux projets visant tous à relier les vastes provinces « déconnectées » du continent africain, où ils ne sont pas encore présents. Ils y voient des centaines de millions d’utilisateurs à conquérir. Ces géants n’ont pas le choix : pour continuer de croître et maintenir leur monopole, ils doivent sans cesse étendre leur influence. Erik Hersman décrypte la « guilde spatiale » qui se constitue autour des milliardaires américains d’Internet.
Les fondateurs de Google, SpaceX, Facebook, Amazon, Microsoft et même Virgin relancent l’aventure spatiale aux États-Unis, autour de nouveaux enjeux : la new space race (la course à la connectivité depuis l’espace) a succédé à la old space race (la course à la militarisation de l’espace).
Erik Hersman rentre dans le détail… Il y a Google et son projet Loon : un réseau de ballons dirigeables diffusant Internet. Augmentés par une intelligence artificielle permettant d’optimiser la navigation de manière automatique, des centaines de milliers de ballons en matériaux synthétiques vont circuler à une altitude de 30 kilomètres au-dessus de l’Afrique. Elon Musk veut quant à lui, à travers sa société SpaceX, déployer dans l’atmosphère une « constellation de satellites ».
Entre 7 000 et 8 000 microsatellites seront en orbite dès 2019.
Ils fourniront un accès à Internet en émettant des signaux laser ultrarapides, jusqu’à un gigabit de données par seconde, soit près de 100 fois la vitesse permise par les câbles sous-marins. Erik Hersman salue les prouesses techniques accomplies par les innovateurs de SpaceX. « C’est vrai que l’on a plutôt l’impression d’être plongé dans un roman de science-fiction que d’être dans la réalité ! Et pourtant c’est ce qu’ils sont déjà en train de faire », dit-il en souriant.
De quelle Afrique rêvent les entrepreneurs de la Silicon Valley ? Le retard numérique africain leur sert-il à renforcer leur mainmise sur Internet ? Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, compare régulièrement la nouvelle conquête de l’espace aux débuts de la création d’Internet et de ses premières infrastructures. Celui qui maîtrise la connectivité depuis l’espace génère un nouveau monopole et une puissance qui défie les souverainetés nationales. En Europe, les géants d’Internet défient ouvertement l’autorité des États, à commencer par leurs administrations fiscales. (…)”