Trop de blablas, pas assez de hackers : Je n’aime pas les Hackathons

Votre mission, si vous l’acceptez : designer le prototype d’une application web ou mobile qui devrait permettre à l’entreprise ABC de révolutionner son expérience client. 10.000 DH récompenseront la meilleure équipe. Ce message s’autodétruira dans cinq secondes.

Votre mission, si vous l’acceptez : designer le prototype d’une application web ou mobile qui devrait permettre à l’entreprise ABC de révolutionner son expérience client. 10 000 DH récompenseront la meilleure équipe. Ce message s’autodétruira dans cinq secondes.


Hackathon : Un peu d’histoire…

Attention, coup de gueule.

On vit dans un monde avide de nouveautés.
Nouveaux contenus, nouvelles expériences, nouvelles plateformes…
Nous consommons et exigeons de la nouveauté au quotidien.

Cherchant désespérément des remèdes rapides pour répondre à cette obsession de l’innovation, les entreprises ont conçu les hackathons et autres challenges d’open innovation.

Contraction de « hacker » et de « marathon », le hackathon a émergé de manière informelle dans les années 1960 et 1970 dans des universités telles que le MIT. Les étudiants se réunissaient alors pour accéder pendant un temps donné à des ordinateurs et coder ensemble ou les uns contre les autres toute la nuit, favorisant la prise de risques et les solutions astucieuses.

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Pizza et Coca à volonté

Ce format de compétitions décontractées s’est ensuite déployé dans le monde de la technologie et du design. Il a été récupéré par les écoles d’ingénieurs, les entreprises, les instituts de recherche et même les gouvernements pour devenir un terme générique qui regroupe de nombreux événements qui ont en commun d’être :

  • Une mini-compétition où sont conviés des développeurs et/ou des designers.
  • Qui se déroule généralement sur une ou deux journées (souvent le week-end – les participants sont autorisés à rester sur les lieux et à travailler toute la nuit)
  • Objectif : conceptualiser des prototypes et/ou produire du code à la pelle sur une problématique donnée, avec une approche collaborative.
  • Souvent gratuitement (ou pour pas cher).
  • Dans des salles largement approvisionnées en pizzas et cannettes de coca.
  • Au profit d’entreprises sponsors qui vont souvent ériger cet événement en « grand-messe digitale » annuelle.
  • Et insisteront sur les moyens mis en œuvre (l’organisation, le lieu, l’argent, la communication…) et sur la publicité de leurs propres produits.
  • Plutôt que sur les finalités (rarement atteintes, rarement opérationnalisées).

Voici le hackathon.

 OK, je suis cynique. Mais je vous avais prévenus.  

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Trop de blablas, pas assez de hackers

En 2016, plus de 200.000 personnes ont participé à des hackathons dans plus de 100 pays. Leurs efforts ont permis de développer 13 000 prototypes. Les principales industries participant aux hackathons comprenaient sans surprise les entreprises technologiques, suivies par les banques / assurances / entreprises financières, le commerce de détail et la santé.

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L’événement est tellement à la mode aujourd’hui qu’on hésite plus à brouiller les pistes et que  n’importe quel événement connecté de près ou de loin à l’innovation et au digital prend désormais l’étiquette de hackathon : code fests, mini-hacks, hackathons de développement commercial, hackathon d’entreprise, générateurs de start-ups, concours de pitchs, start-up week-ends…

Autant d’événements qui voient des innovateurs couronnés par un jury puis lâchés dans la nature avec une petite enveloppe (et un t-shirt).

Bravo (tape dans le dos).

Parodie d’événement ?

Je ne suis pas la première personne à souligner que les hackathons sont malsains (ici, ici et ici) mais pour les participants, la réalité n’est en effet pas toujours aussi rose. Car, oui, peu de projets de hackathons deviennent des start-ups et autre chose que des idées remisées dans un placard. Cela vaut malheureusement aussi pour tous ces hackathons consacrés à l’éducation, à la santé ou au sport.

Peu de sponsors ont évolué pour soutenir les idées au-delà des 24 heures de l’événement et générer de l’incubation et de l’accélération pour transformer les projets en produits réels. Les hackathons sont rarement un point de départ pour les créatifs et les développeurs.

Or, les idées ne valent qu’à travers leur exécution.

En 2018, le magazine américain Wired a dévoilé l’asymétrie de pouvoir en faveur des entreprises sponsors après avoir observé une série de hackathons organisés pendant toute une année à New York. Conditions de travail borderline. Récompenses indécentes. Projets sans réelle finalité. Start-ups gagnantes qui doivent souvent recommencer de zéro par la suite.

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Digital Bullshit ?

Le site Stupid Hackathon recense les projets développés au cours de hackathons et qui n’ont aucune valeur. Comme Small Talk, un appareil qui permet à ses utilisateurs de sortir rapidement de situations sociales inconfortables.

Hypochondriapp, lui, vous diagnostique la pire maladie possible pour tous les symptômes que vous pourriez ressentir.

Le mode Outcognito est une extension Chrome qui tweete publiquement chaque site Web que vous visitez et tout ce que vous tapez. Godotify, elle, est une application de messagerie Facebook qui fait attendre les utilisateurs pour toujours.

Du hackathon à l’exploitation, il n’y a qu’un pas…

J’ai interrogé des développeurs qui ont participé à des hackathons.

L’ambiance, la collaboration, la possibilité de travailler avec des personnes aux compétences différentes dans un environnement extérieur, de réseauter et d’être reconnus pour leur travail et leur talent… font généralement de ces événements des moments de plaisir, de loisirs et de rencontres. Etudiants en écoles d’ingénieurs, jeunes professionnels cèdent parfois à la tentation, dans l’hypothétique espoir de se faire remarquer.

Les hackathons dévalorisent surtout le travail des professionnels (agences de développement, agences digitales, labos de design…) et mettent dans la tête des jeunes techos que la norme est de travailler 48 heures non-stop, de produire du code à la chaîne et de pondre des applications complètes censées impressionner tout le monde. Ceci pour quasiment pas de salaire mais en échange de pizzas et de goodies.

Car, si le gagnant et éventuellement le finaliste obtiennent des prix décents, les sponsors économisent souvent de l’argent sur toutes ces équipes perdantes qu’ils n’ont pas eu à payer (alors qu’un développeur, ça coûte cher par nature).

Ah, et j’oubliais, toute la production du week-end reste bien entendu la propriété de l’organisateur du hackathon, qui peut en faire ce qu’il veut, maintenant tu rentres chez toi, et tu vas te doucher, okay ?

Alors, les participants, « nouveaux prolétaires ubérisés » (dixit Wired) ?

Hackathon = hacka-cons ?

Les hackathons sont surtout l’occasion pour les sponsors de tuer dans l’œuf leur capacité interne à innover : pas besoin de se creuser la cervelle, d’autres se chargeront (pour pas cher) de le faire à leur place. Et pourtant, je découvre aussi avec effroi qu’il existe maintenant des hackathons internes, que les entreprises organisent pour leurs propres employés, une sorte de week-ends d’entreprise.

Objectif : permettre aux salariés de travailler sur « ce qu’ils aiment », « ce sur quoi ils n’ont pas le temps de travailler pendant les heures de travail », toujours en échange de coca et de pizzas. Et si vous ne vous présentez pas, on saura que vous êtes un gros paresseux qui n’a pas le sens et les valeurs de l’entreprise.

Vous souhaitez malgré tout organiser votre propre hackathon ?

  • Définissez une problématique concrète
  • Proposez des gratifications financières en rapport avec les efforts consentis
  • Fixez un nombre de participants correct
  • Offrez des conditions de travail confortables aux candidats
  • Poursuivez la collaboration avec les lauréats au-delà de l’événement pour les développer
  • N’exploitez pas commercialement les propositions qui n’ont pas gagné

Alors oui, peut-être tous les hackathons ne sont-ils pas comme ça. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser qu’ils sont tous entachés d’une sensation d’escroquerie. Qu’en pensez-vous ?

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Mahja Nait Barka
Mahja Nait Barka

Diplômée de SKEMA Business School (ESC Lille) en Management et Marketing International, Mahja NAIT BARKA bénéficie de douze années d'expérience dans le marketing stratégique, le e-commerce, le webmarketing et les RP, au Maroc et en France. Multilingue, multiculturelle, multi-spécialiste, Mahja capitalise une expertise transversale, acquise en agence, au sein ou à la tête de Directions Marketing, dans le cadre de missions de consulting ou de ses activités de créatrice d’entreprise et est Présidente de la Commission 'Communication & Digital' au sein de l'AMMC (Association Marocaine du Marketing et de la Communication).

Publications: 112

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